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Souveraineté énergétique européenne, les répercussions du conflit russo- ukrainien - Lettre Jacques Cœur juin 2022

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L'Europe de l'énergie et l'autonomie stratégique

Par Dominique Ristori, Conseiller en stratégie, ancien Directeur Général de l’énergie à la Commission Européenne (2014-2019)

1° L'énergie est le sang qui coule dans les veines de l'économie et dans celles de la société toute entière. Elle a représenté au niveau mondial un investissement en 2021 :

1,9 trillions de dollars dont plus de 40% vers la transition énergétique.

Les grandes industries telles que l'acier, les cimenteries, la chimie, la pétrochimie, l'aluminium sont électro-intensives.

L'énergie est en même temps indispensable à tous les actes de la vie quotidienne pour se nourrir, se chauffer, se déplacer ou se soigner :

  • II est important de souligner la remarquable résilience du secteur énergétique pendant toute la crise du Covid, à l’instar du secteur agro-alimentaire.
  • L’Europe est née avec l'énergie et avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) dès 1952, au sortir de la 2ème Guerre Mondiale. Le Traité Euratom a suivi en 1958 après la crise de Suez, l'énergie nucléaire étant vu comme un moyen de s'affranchir de la dépendance au pétrole.
  • Aujourd'hui la flambée des prix qui s'est amorcée avec la relance économique post-Covid s'est trouvée non seulement aggravée par la guerre russo-ukrainienne, mais doublée aussi de craintes sérieuses de ruptures d’approvisionnement.

2° Comment l'Europe, qui importe la moitié de son énergie, pourrait-elle atteindre l’autonomie stratégique pour ce secteur ?

Il lui faudra à la fois diversifier ses approvisionnements notamment vis-à-vis de la Russie, et assurer les décarbonations principalement du secteur énergétique ainsi que de l’industrie, des transports et des produits en s'appuyant sur l’innovation y compris pour l'efficacité énergétique. L'effort d'investissement et la taxonomie devront accompagner efficacement cette transition.

En outre et après les phases de domination du charbon, puis du pétrole et du gaz, c'est l'électricité qui devrait occuper la place centrale dans les années et décennies à venir compte tenu de sa capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à contribuer aux décarbonations des secteurs industriels, des transports et des bâtiments.

a. La diversification des approvisionnements

Il s'agit d'un point obligé de toute politique énergétique éclairée. Certains n'ont objectivement pas respecté cette diversification et se retrouvent aujourd’hui en position très difficile. C'est en particulier le cas de l'Allemagne qui a trop misé sur le gaz russe avec le projet NSII.

Aujourd'hui plus de 40% du gaz importé en Europe provient de Russie (44% pour le charbon et 25% pour le pétrole). Ce pourcentage est évidemment beaucoup plus élevé dans certains pays. Il en découle les difficultés à court terme de décider des embargos dans le cadre des sanctions d'autant que ces mesures toucheraient dans certains pays non seulement la production industrielle mais aussi le chauffage domestique.

Le corridor du Sud amenant le gaz de Bakou, les nouvelles productions européennes et les nouveaux hubs de Méditerrané (Roumanie, Grèce, Chypre, Israël, Égypte) présentent des atouts renforcés. Le gaz naturel liquéfié est également une des solutions même si les quantités disponibles à court terme ne sont pas suffisantes pour prétendre remplacer 60 milliards de m3 de gaz importés de Russie.

Cependant le marché est mondial, flexible et donc prometteur pour les années futures mais réclame aussi plus de méthaniers et de terminaux. Les États-Unis mais aussi le Qatar, l’Australie par exemple, augmenteront leurs capacités de production, d'exportation et de transport.

Les difficultés existent aussi pour le pétrole mais à un degré bien moindre car le marché est nettement plus diversifié que celui du gaz naturel même s’il est la source principale des revenus pour la Russie.

b. Les décarbonations du secteur énergétique et de toute l’économie

Dans ce contexte de crise, l'effort vers la neutralité carbone en 2050 devrait être accéléré pour atteindre des résultats plus rapides à la fois en termes de réduction des émissions et d'autonomie stratégique à partir de 2025-2030. Le Pacte vert et l'objectif de réduction des émissions de 55% des 2030 devraient être renforcés de même que les objectifs en matière d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique.

L’hydrogène, les batteries et le stockage feront, par ailleurs, l'objet d'une attention particulière :

  • Les énergies renouvelables bénéficieront de nouveaux supports.
  • L'énergie solaire présente d'ores et déjà énormément d'avantages pouvant être installée pratiquement partout, avec des coûts relativement bas, et faisant l'objet d'un accueil positif des populations.
  • Cependant, l'éolien terrestre se heurte a beaucoup plus de résistances, et même d'oppositions, de la part des autorités locales et des populations et devrait voir sa progression se réduire au profit de l'éolien off-shore, assez éloigné des côtes et donc en général mieux accepté et plus productif compte tenu de la force des vents dans la continuité et dans des zones bien choisies.
  • Dans cette perspective très favorable à l'électricité, l'énergie nucléaire retrouvera incontestablement des couleurs, étant la seule production de base sans CO2.
  • Les relances en France, aux Pays-Bas, en Finlande, en Tchéquie, au Royaume-Uni par exemple, mais aussi les prolongations inattendues comme en Belgique ou les nouveaux choix nucléaires comme en Pologne devraient stimuler l’environnement industriel et favoriser de nouvelles percées technologiques en matière de retraitement et gestion des déchets, de sûreté, de nouveaux réacteurs (SMR), de combustibles et de fusion.
  • La part de l'uranium, relativement marginale pour les centrales nucléaires en termes de coûts, contrairement aux centrales à charbon ou à gaz, permet d’obtenir des résultats positifs tant sur le plan de l’autonomie énergétique que sur celui de la baisse des émissions.
  • En outre, l'évolution favorable des opinions publiques sera également un facteur important dans beaucoup de pays.
  • Le développement des réseaux et la juste rémunération des gestionnaires contribueront à renforcer la sécurité d'approvisionnement sur l'ensemble du continent européen. Les interconnexions et l’industrie du câble prendront une valeur encore plus grande de même que les efforts pour déployer de nouvelles formes de stockage y compris le couplage entre le stockage décentralisé et les recharges rapides pour les véhicules électriques.
  • La neutralité carbone et l'autonomie énergétique ne seront pas atteintes sans un effort redoublé en matière d'efficacité énergétique.
  • Le cadre règlementaire européen est probablement le plus avancé au monde pour soutenir cette évolution tant dans le domaine des transports que dans celui des bâtiments et des produits. Les résultats sauront d'autant plus importants qu'ils s'accompagneront de l’incorporation du digital et des nouvelles technologies permettant à chacun de faire une utilisation optimale de son électricité et de ses équipements.

c. La taxonomie européenne et internationale contribuera à orienter les investissements vers les énergies, les infrastructures, les industries et les innovations répondant aux critères de la transition énergétique.

Elle est d'une importance stratégique en tant que complément du Pacte Vert et vise à conduire les marchés financiers vers des activités plus durables pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et l'objectif intermédiaire 2030 actuellement fixé à moins 55% d'émissions par rapport à 1990.

Le montant de l'investissement annuel pour atteindre cet objectif a été évalué à 350 milliards d’euros et les flux privés doivent naturellement s'inscrire dans l'orientation générale.

Le Règlement Taxonomie a été publié au Journal Officiel en juin 2020 puis la Plateforme Européenne sur la Finance Durable a pris la suite du groupe d'experts pour définir les critères techniques de la transition énergétique.

L'énergie nucléaire et le gaz ont fait l'objet d'un acte délégué séparé adopté par la Commission européenne le 2 février 2022 qui devrait être adopté par le Conseil et par le Parlement européen dans les 4 à 6 mois suivant son adoption.

En conclusion :

Cette crise pourrait, si elle est gérée avec une vision réaliste, être un vecteur d'accélération d'une révolution énergétique, économique et sociétale pouvant contribuer de manière significative à l’intégration européenne et au mieux-être de chacune et chacun d'entre nous.

Une énergie sûre, propre et compétitive est la condition indispensable pour faire concrètement de l'énergie un véritable Droit Universel.

L’année 2022 à mi-parcours

Quatre signaux forts de fin d’époque

Par Michel Foucher, géographe et ambassadeur, conseiller du Président de CFJC et Serge Guillon, ancien conseiller Europe du Premier Ministre, Directeur des études du Cycle des Hautes Etudes Européennes.

1° Fin de la paix et échec de la diplomatie en Europe : vers un conflit prolongé en Ukraine ?

Quelle est la situation militaire à près de 100 jours depuis le début de l’agression russe. Vers une guerre prolongée :

Les forces ukrainiennes ont surpris les alliés de l’Ukraine, en profitant des failles russes. Mais les forces russes ont repris l’initiative. La perte de Marioupol est une défaite ukrainienne où plusieurs brigades ont été perdues, après deux mois de résistance ayant fixé les forces russes.

La bataille en cours du Donbass est décisive pour la suite de la guerre. Les Russes continuent d’avancer lentement sur ce front et la prise de la ville de Severodonetsk permettrait à la Russie de contrôler la moitié du Donbass. Néanmoins, les Ukrainiens réussissent à limiter les pertes sur un terrain plat où l’on peut être facilement repéré.

L’armée ukrainienne va chercher à déstabiliser l’effort russe avec deux scénarios :

  • Se replier des villes du Donbass les plus exposées (comme Severodonetsk) déjà vidées de la majorité de leur population) et se replier sur une ligne de défense : perte d’espace, gain de temps et de forces, avec un coût politique pour Kiev. La bataille du Donbass peut durer jusqu’à la fin de l’été si les deux camps disposent des ressources nécessaires. On se bat sur un espace de 100 km sur 50 km avec quatre villes et nœuds de communication qui sont les objectifs russes.
  • Lancer une contre-attaque, sur le front de Kherson, au Sud de l’Ukraine, afin de couper le corridor entre la Crimée et les territoires séparatistes et éviter une avancée russe vers l’ouest, au-delà du Dniepr, vers Odessa. Une prise d’Odessa priverait l’Ukraine exportatrice de tout accès à la mer Noire et en ferait un pays enclavé et dépendant.

C’est donc une guerre qui va durer, sauf en cas de surprise militaire ou de révolution de palais à Moscou. Aucun règlement négocié n’est en vue et les Ukrainiens ne peuvent en aucun cas accepter le conseil d’Henry Kissinger à Davos d’une concession territoriale pour mettre fin à la guerre (The Washington Post, 24 mai 2022, Kissinger says : Ukraine should cede territory to Russia to end war). Ce dernier ayant à l’esprit la nécessité d’une entente avec la Russie pour contrer la Chine.

La bataille des volontés (les « forces morales » sont du côté ukrainien) se combine avec la bataille sur le terrain (les forces russes disposent de la « quantité » en puissance de feu) et le champ économique.

De plus, le soutien européen et américain est fort. À Davos, le chancelier Scholz a clairement indiqué que la Russie ne devait pas gagner. Ceci signifie que ni Berlin ni Paris ne forceront l’Ukraine à accepter des concessions territoriales. La position franco-allemande est de soutenir ce que les Ukrainiens accepteront.

En Russie, le PNB va baisser de 12 à 15% en 2022 ; la contraction sera de 45% en Ukraine. L’impact des sanctions sur la Russie - qui reçoit encore près d’1Md$ par jour pour ses exportations de gaz et de pétrole - sera plus net avec l’embargo total d’ici la fin de 2022 sur les livraisons de pétrole russe par mer décidée par le Conseil européen le 30 mai 2022 avec le sixième paquet de sanctions. Les pays d’Europe centrale ont plus de temps pour s’affranchir de leur dépendance à l’oléoduc Droubza (qui date du Pacte de Varsovie).

L’Allemagne construit et loue des terminaux de stockage de gaz naturel liquéfié. La Russie ne dispose pas d’oléoducs pour exporter vers la Chine. Le manque de semi-conducteurs a un effet sur le renouvellement des équipements militaires. Le Kremlin devra d’ici quelques mois revoir ses objectifs militaires si l’argent et les matériels militaires manquent.

2° Fin de l’élargissement de l’Union européenne comme seul principe d’organisation du continent : vers une communauté (géo) politique européenne ?

a. Vers un élargissement adapté ?

L’Ukraine a déposé une demande d’adhésion à l’Union européenne, à laquelle la Commission européenne devra répondre en juin sur le point de l’octroi ou non de statut de candidat. Géorgie et Moldavie ont emboîté le pas tandis que les pays des Balkans occidentaux s’inquiètent d’être laissés pour compte.

En résulte l’idée franco-italienne d’une formule de coopération politique étendue, sans préjudice ni obligation d’adhésion. « Soyons clairs, l’Union européenne ne peut pas être le seul moyen de structurer le continent européen. Il nous faut très clairement trouver la voie pour penser notre Europe et ouvrir une réflexion historique sur l’avenir de notre continent », a indiqué le président Emmanuel Macron le 9 mai à Strasbourg lors de la clôture de la conférence sur l’avenir de l’Europe. Il a proposé la formation d’une communauté politique européenne, en référence au projet de confédération européenne émise par François Mitterrand en 1989 et présentée lors des Assises de Prague en juin 1991. A l’époque, elle avait pour objectif d’inclure la Russie (mais l’Union soviétique, bien qu’en crise, était encore en place) : d’où l’échec, lié au refus américain d’un succès de Gorbachev.

Le président de l’Institut Jacques-Delors, Enrico Letta, également chef du Parti démocrate italien, préparait le terrain ces dernières semaines, avec l’aval discret de Mario Draghi, le président du conseil italien. Cette « communauté politique européenne » pourrait permettre de répondre aux aspirations ukrainiennes, moldaves et géorgiennes, mais aussi à celles des États des Balkans occidentaux.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a qualifié l’idée de « très intéressante », sans décourager d’éventuelles adhésions pleines et entières à l’Union européenne. « La procession actuelle des leaders européens et des dirigeants des institutions à Kiev me rappelle leurs visites dans les capitales d’Europe centrale, dans les années qui ont suivi la chute du rideau de fer. Elle ouvre un parcours fait de promesses, d’attentes, de frustrations et de déceptions sur la voie de l’Union européenne (UE). Nous sommes en train de faire fausse route. Quand on aura le courage de dire aux Ukrainiens qu’ils ne pourront pas entrer dans l’UE avant dix ans, je les vois devenir de grands fans des Etats-Unis plutôt que de l’Europe. Cela nourrit déjà les frustrations dans des États comme l’Albanie ou la Macédoine du Nord, qui se demandent s’il faut être envahi par la Russie pour obtenir des gages d’intégration. C’est pourquoi je propose la mise en place d’une confédération susceptible de répondre aux aspirations européennes des pays de la région, à commencer par celles de l’Ukraine ».

A chaque Conseil européen, on pourrait se réunir à trente-six, pour bien signifier que les neuf pays aspirants à l’UE (Ukraine, Géorgie, Moldavie, Albanie, Macédoine du Nord, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie et Kosovo) sont entrés dans la famille européenne. Il faut un lieu multilatéral pour faciliter les relations entre la Commission européenne et les pays candidats, et pour que ceux-ci puissent se parler entre eux. Cela peut d’abord se mettre en place de façon très rapide et informelle, comme un G20, puis fonctionner sur la base d’un traité simplifié, facile à ratifier. Cette confédération pourrait ainsi permettre d’ouvrir un accès progressif au marché intérieur. A beaucoup plus long terme, après la guerre en Ukraine, on peut imaginer aussi que la clause d’assistance mutuelle (article 42.7) inscrite dans le traité européen soit élargie aux pays membres de la confédération.

Pour sa part, Charles Michel, président du Conseil européen, a proposé de soumettre à la réunion du Conseil de juin 2022 un schéma comparable de « communauté géopolitique européenne », qui présente l’originalité d’une réversibilité de la participation aux instances communes en cas de non-respect des engagements, notamment sur l’état de droit.

Le risque est que les pays d’Europe centrale et l’Ukraine ne fassent barrage à ce qui est perçu, à tort, comme un refus poli d’adhésion ou l’offre d’une simple salle d’attente. La vérité oblige à dire qu’entre l’accord d’association de 2014 et le début de 2022, bien peu de progrès avaient été réalisés en Ukraine en matière d’état de droit ou de gouvernance (pas de loi de « désoligarquisation »), alors que le niveau de vie est à 29% de la moyenne communautaire.

b. Premier bilan de la présidence française du Conseil de l’Union européenne au 1er juin 2022 par Serge Guillon

Ce bilan peut se présenter sous trois angles : l’activité législative, la gestion de la guerre en Ukraine, les actions d’influence sur le moyen terme :

1. Un bilan législatif conséquent mais centré sur des textes techniques

Des avancées considérables sur des textes techniques :

  • Huit accords définitifs avec le Parlement européen sur des textes souvent techniques : élargissement du mandat d’Europol, instrument de réciprocité dans l’accès aux marchés publics… Le plus important d’entre eux est l’accord sur les marchés numériques (DMA) qui renforcera la régulation européenne sur les plateformes du numériques.
  • Neuf accords sur la position du Conseil en cours de négociation avec le Parlement européen incluant des textes plus politiquement visibles : règlement sur le mécanisme d’ajustement aux frontières, directive sur l’équilibre hommes/femmes au sein des conseils d’administration qui était bloquée depuis 10 ans, directive sur le chargeur universel pour les téléphones portables…

Des perspectives plus incertaines sur des textes plus politiques :

  • Des espoirs d’accords au sein du Conseil sur : la directive sur les salaires minimaux, plusieurs des 12 textes du paquet dit « fit for 55 » (réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990), le paquet législatif sur les semi-conducteurs…
  • Mais des avancées limitées sur des textes majeurs sur : les nouvelles ressources propres (dont dépend en partie le financement du plan de relance européen), l’intelligence artificielle, les données, l’imposition minimale des bénéfices des multinationales, le pacte asile et migrations, la réforme du code frontières Schengen…

2. Une gestion partagée de la crise ukrainienne préservant l’unité européenne

Le Président Macron n’assurant pas la présidence du Conseil européen (cf création de la présidence stable par le traité de Lisbonne), la gestion de la crise ukrainienne a été partagée avec Charles MICHEL, Ursula Van Der Leyen et Josep Borrell ainsi que l’a mis en évidence le sommet de Versailles.

Dans un contexte où les risques de division entre Etats membres sont majeurs, depuis le 24 février 2022, l’Union Européenne a préservé son unité sur l’essentiel grâce à des compromis et a ainsi adopté :

  • 6 paquets de sanctions à l’égard de la Russie et de la Biélorussie.
  • 3 tranches de soutien à l’Ukraine pour 1,5 milliard d’euros au total au titre de la facilité européenne pour la paix et pour financer des équipements militaires. Et a coorganisé une conférence des donateurs à Varsovie.
  • Des initiatives pour faire face aux conséquences de la guerre (Cf par exemple la diversification des approvisionnements énergétiques).

3. Des actions d’influence en faveur d’évolutions à moyen terme

Certains des objectifs de moyen terme de la PFUE sont compromis dans le contexte de la guerre en Ukraine :

  • La boussole stratégique (livre blanc sur la défense et la sécurité) a été adopté mais la renaissance politique de l’OTAN ne favorise pas le développement d’une Europe de la défense autonome malgré la déclaration de Versailles.
  • La conférence sur l’avenir de l’Europe, dont les travaux ont fait l’objet d’une restitution le 9 mai, a peu mobilisé tant ses recommandations apparaissent en décalage complet avec un contexte qui fait émerger de nombreux risques de division d’une Union européenne qui n’a pas besoin d’ouvrir de nouveaux fronts.
  • Le nouveau contexte européen et mondial change la donne de la définition d’un nouveau modèle de croissance dont la France avait fait une priorité.
  • La mobilisation autour des valeurs et de l’Etat de droit se heurte à une nouvelle hiérarchie des priorités en raison de la guerre en Ukraine. Il en est de même de la question migratoire et du renforcement de la gestion des frontières.

Mais l’objectif d’autonomie stratégique au sens large est conforté dans sa légitimité et a connu des avancées (Cf la déclaration de Versailles) :

  • En matière de souveraineté énergétique.
  • En ce qui concerne la construction d’une véritable politique industrielle européenne adaptée à un contexte de vulnérabilités sur les matières premières stratégiques, les principes actifs, 34 produits originaire pour moitié de Chine et sans perspective de diversification à moyen terme et au-delà en concrétisant de nouvelles alliances industrielles autour de projets d’intérêt économique européen commun (hydrogène, batteries, semi-conducteurs…).
  • En matière de souveraineté et sécurité alimentaire : flexibilité sur les plans stratégiques nationaux et sur les jachères, évolution possible du programme de la ferme à l’assiette…

3° Fin de 12 ans de stabilité monétaire et retour de l’inflation : retour à des cycles économiques plus classiques ?

La fin de prix plutôt bas de l’énergie et des produits agricoles et les limites du « quoi qu’il en coûte » sont les effets économiques et financiers de la guerre et de la politique des sanctions et des représailles qui leur répondent (fin de la fourniture de gaz par Gazprom à plusieurs pays).

L’inflation a atteint 8,1% en mai dans la zone euro. En Allemagne, elle est de 8,7%, provoquée à près de 40% par la hausse des prix de l’énergie et pour 11% par celle des prix des produits alimentaires. Berlin a annoncé des mesures pour réduire l’impact de l’inflation : baisse des taxes sur le fuel, ristourne sur les billets de train.

La Banque centrale européenne, qui semble traversée de vifs débats, annoncera une hausse des taux de 0,25% en juillet et de 0,25% en septembre, afin de mettre fin à la politique actuelle de taux négatif qui dure depuis huit ans. L’économiste en chef, Philip Lane, a défini un « rythme de référence » (benchmark pace) de 25 points de base, en soutien à la prudence de Christine Lagarde, contestée par le banquier central autrichien, Robert Holzman, qui propose de suivre la FED (50 pb à chaque décision). Un processus graduel donc de fin du stimulant. Le taux fixé sera de zéro en septembre 2022.

A propos du retour de l’inflation, Patrick Artus estime que la période d’inflation actuelle est un retour à la normalité « avec des cycles économiques réguliers liés à l’inflation. Le schéma est connu : après une période de croissance tirée par des taux d’intérêt bas, la baisse du chômage finit par provoquer une tension sur les salaires, donc de l’inflation, et les banques centrales sont contraintes d’augmenter les taux d’intérêt pour casser le mouvement. Mais ce faisant, elles brident l’investissement et les dépenses, ce qui déclenche une récession, après quoi on baisse les taux pour relancer l’activité et le cycle recommence ». « C’est ce que nous avons connu, tous les dix ans environ, depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce qui est anormal, c’est la période des douze dernières années où, même au plein-emploi ou avec des taux de chômage très bas, il n’y avait pas d’inflation, ce qui a conduit les banques centrales à sortir de leur rôle traditionnel de contrôle des prix, notamment pour stimuler la croissance ou réduire les inégalités. Avec le retour de l’inflation, on revient donc à un modèle connu où, quand on se rapproche du plein-emploi, il apparaît des raretés – raretés en termes de matières premières, de capacités de transport ou d’énergie, par exemple ».

4. Fin du moteur chinois de la croissance mondiale et tensions politiques internes : quelle incidence sur le 20° Congrès du PCC ?

Quel rôle pour la Chine dans cette période de turbulences ? On a surtout retenu le soutien diplomatique, prudent, de Pékin à Moscou, pour opposer un front commun aux Etats-Unis, alors que les principes chers à la diplomatie chinoise (intégrité territoriale et souveraineté) sont bafoués.

Keqiang a, fin mai, dans un discours diffusé dans tout le pays à plus de cent mille responsables du Parti et des administrations qu’il fallait de toute urgence renouer avec la croissance, réduire le sous-emploi et surtout assure les récoltes de l’été. Discours aussitôt tempéré par un reportage de la télévision officielle sur le bien-fondé de la politique de confinement décidée par le Parti. Pour la première fois depuis 40 ans, le taux de croissance a reculé de 6,9%, selon le gouverneur de la banque centrale, Yi Gang, qui n’a pas annoncé de mesures publiques de relance (baisse des impôts sur les sociétés et politique de prêts d’un montant de 119 Mds$ (800 Mds Rmb), soit l’équivalent de 0,7% du PIB.

Tout indique qu’il y a de vifs débats sur la démarche économique à suivre, notamment sur le sujet du contrôle politique des entreprises privées du secteur numérique qui veulent continuer d’être cotées hors de Chine mais doivent se soumettre aux conditions réglementaires de la bourse américaine.

Deux visions opposent l’administration chinoise du cyberespace (CAC, dirigée par Zhunag Rongwen, très proche de Xi), entité du Parti, et le Comité du développement et de la stabilité financière qui dépend du Conseil d’Etat (sous la supervision de Liu He, vice-premier ministre chargé de l’économie et des négociations commerciales internationales. Bref, l’État est en rivalité avec le Parti, dans le contexte des tensions préalables à la réunion du 20ème Congrès en novembre 2020, qui devait entériner un troisième mandat pour Xi Jinping. Tant l’alignement sur le Kremlin que le primat du politique sur l’économie sont deux lignes de clivage essentielles et durables dans le jeu politique de la sphère dirigeante chinoise.