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Perspectives géopolitiques de 2023 - Lettre Jacques Cœur février

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Perspectives géopolitiques de 2023

Les Européens face au plan américain de relance

Les Allemands face à la crise de leur modèle

Les Occidentaux face aux incertitudes chinoises

Pour sa première Conférence Jacques Cœur de l’année 2023, CFJC réunissait une vingtaine d'investisseurs institutionnels autour de Michel Foucher autour du thème des perspectives géopolitiques de l’année 2023.

Introduction

L’année 2023 a mieux commencé que prédit en 2022, comme en témoignent les échanges tenus à Davos en janvier 2023.

Martin Wolf, journaliste économique de référence au Financial Times tire les leçons suivantes de la réunion de Davos (Financial Times, 25 janvier 2023). Malgré les tensions (héritées du Covid, de l’inflation liée à la reprise économique postpandémique et aux effets de l’agression russe contre l’Ukraine) et les menaces liées à l’hostilité sino-américaine, des signaux positifs sont à noter : la résistance nationale en Ukraine, des élections américaines de mi-parcours confortant Biden et ses plans de relance, un début de baisse de l’inflation, le reflux des craintes de récession et la réouverture de la Chine. A quoi s’ajoute le retour des prix du gaz à des niveaux proches de ceux de décembre 2021.

La rencontre entre Liu He (vice-premier ministre chinois sortant en mars 2023) et Janet Yellen, à Zürich, a été suivie d’une invitation à Pékin et confirme que les dirigeants chinois ont placé la croissance économique dans leurs priorités, à l’inverse des décisions idéologiques du XX° Congrès. La délégation la plus nombreuse à Davos était indienne, signe que le pays le plus peuplé du monde se prépare à connaître la plus forte croissance des émergents.

Le « Sud global » s’affirme, comme j’ai pu le constater lors de la Conférence politique mondiale d’Abu Dhabi (8-11 décembre 2022). Les Indiens y étaient très présents, dans une posture antichinoise et une présentation de leurs atouts technologiques. Le responsable du fonds souverain d’investissement émirati Mubadala, qui gère 360 Mds$, a indiqué ses critères de choix d’investissements : les pays à croissance économique et à fort essor de la classe moyenne (Inde et ASEAN), une diversification sectorielle (technologies et transition énergétique). Abu Dhabi présidera la COP 28, en faisant valoir que 25% de son énergie provient du solaire et du nucléaire, avec l’objectif de devenir leader mondial dans la production d’électricité solaire d’ici 15 ans. L’Europe est perçue comme une région à faible croissance, en sachant que c’est la situation britannique – le bureau du fonds est à Londres - qui est retenue comme expressive de la situation d’ensemble[1]. On retrouve parfois le même biais chez les analystes américains (Nuriel Roubini).

L’interaction entre les contextes géopolitiques et les choix de politique économique est confirmée, dès lors que les États conduisent des politiques industrielles qui intègrent désormais des préoccupations de sécurité nationale. Janet Yellen, secrétaire d’État au Trésor, l’avait confirmé lors d’un discours prononcé à Séoul, devant le Parc scientifique de la compagnie LG le 14 juillet 2022, en avançant le concept de « friendshoring » (traduit par « amilocalisation » par les Québécois), encore énoncé comme « ally shoring » (approvisionnement dans les pays alliés) à propos de la construction de chaînes de valeur qui soient résilientes. C’est en continuité avec l’approche d’une « politique étrangère pour les classes moyennes » conçue par Jake Sullivan, actuel secrétaire du Conseil national de sécurité[2].

Les Européens face au plan américain de relance

La loi, mal nommée, “US Inflation Reduction Act », signée par le président Biden en août 2022 prévoit 490 Mds$ de dépenses et d’exemptions fiscales pour soutenir les technologies « vertes », y compris d’importantes subventions pour les véhicules électriques. Il est voté pour huit années. Le premier objectif est de réduire la dépendance américaine à l’égard de la production chinoise. La Chine produit actuellement 80% des batteries électriques dans le monde et contrôle la moitié du marché des minerais essentiels pour la fabrication des batteries. Ce dispositif affecte l’Europe dès lors que la production doit se réaliser aux Etats-Unis ou dans un pays qui bénéficie d’un accord de libre-échange avec eux (Canada, Mexique), ce qui n’est pas le cas de l’UE. L’industrie européenne ne peut donc pas bénéficier du Plan. Le second objectif du Plan est de favoriser la création d’emplois aux Etats-Unis et, sans doute, de reconquérir l’électorat des états industriels qui avaient quitté le parti démocrate.

L’UE cherche une réponse. Elle exporte la moitié de sa production de véhicules (pour un surplus annuel de 80 Mds€, soit le tiers de l’excédent commercial européen) et le secteur pèse 12,6 millions d’emplois. L’UE veut à tout prix éviter de perdre son avance dans les industries vertes comme ce fut le cas pour les panneaux photovoltaïques du fait des subventions publiques chinoises. L’UE est devenue exportatrice nette de véhicules électriques et hybrides et le marché américain, avec 5% seulement de véhicules électriques, est majeur. Or, le Plan américain subventionne également la fabrication de batteries destinées à l’exportation. Il y a donc clairement une compétition euro-américaine pour le leadership dans ce secteur d’avenir. Le souci européen ne peut être qualifié de « larmes de crocodile ». Mais il reste l’option pour les firmes européennes de continuer d’investir aux Etats-Unis plutôt qu’en Chine, dès lors que, compte-tenu des coûts de transport, 80% des ventes de véhicules électriques procèdent de production locale. Les deux marchés ne sont pas contradictoires.

Quelles sont les réponses européennes ?

Pour Paolo Gentiloni, commissaire européen à l'Économie : "Les prix de l’énergie ont beaucoup baissé par rapport à leur niveau de l'été dernier, mais ils sont toujours deux à trois fois supérieurs à ceux des États-Unis, ou dans d'autres zones économiques importantes. Il faut s'occuper de ce décalage. En soi, l'initiative des Américains est bonne, parce qu'ils font de la transition verte une priorité. Mais leur but est aussi d'attirer sur leur territoire les entreprises d'avant-garde, de pointe, du monde entier, et notamment européennes. Et notre réponse, ce sera donc un soutien à ces industries, un nouveau fonds européen en commun, et une simplification des règles. Nous travaillons à identifier les secteurs et les projets de pointe qu'il faut soutenir" ajoute le commissaire. Sans surprise, les secteurs du solaire et des véhicules électriques devraient être choyés. Nous avons démontré dans certains domaines, comme l'éolien, que l'Europe peut être un leader mondial. Le principe, c'est un fonds dédié aux projets d'avant-garde, qui ne peuvent réussir qu'à l'échelle européenne ». Il confirme la fourchette de 300 à 750 milliards d'euros évoquée par le commissaire européen au Marché intérieur Thierry Breton. Enfin, la Commission entend dans le même temps obtenir des exemptions de la part des Américains. "Il y a un groupe de travail entre l'Union Européenne et les Etats-Unis, qui se penche particulièrement sur les véhicules électriques. L'Europe demande à bénéficier des mêmes avantages que les pays qui ont un accord commercial avec les Etats-Unis, comme le Mexique ou le Canada. Je pense qu'entre partenaires alliés, et bons amis, il est normal d'avoir des exemptions, notamment pour les voitures électriques".

Propositions de la Commission européenne le 1er février 2023 pour soutenir l’industrie de décarbonation

  • Simplification des procédures d’obtention de permis pour les entreprises
  • Modernisation des règles des marchés publics : passer de 2 ans à 4 mois pour un projet d’intérêt européen
  • Loi sur les matières premières critiques pour garantir un accès aux à ces matériaux
  • Réforme du marché de l’électricité pour ne plus dépendre des prix du gaz et donc faire baisser les prix de l’énergie
  • Déplafonnement des aides d’État, de manière ciblée et temporaire (jusqu’au 31 décembre 2025)
  • Mobilisation des crédits d’impôts dans les aides d’État aux entreprises (comme aux Etats-Unis)
  • Clause de réciprocité, permise par l’OMC mais jamais utilisée par l’UE : l’UE autorisera les pays membres à proposer les mêmes avantages financiers ou fiscaux que la Chine ou les Etats-Unis
  • Pas de nouvel emprunt communautaire (Berlin, La Haye et Stockholm opposés) mais mobilisation de 250 Mds€ du plan de relance.
  • Un projet de fonds de souveraineté pour financer les technologies de rupture sera (IA, biotech, technologie quantique) sera présenté mi-2023.

Ce plan industriel est au menu du Conseil européen exceptionnel des 9 et 10 février (Ukraine). Il sera aménagé et devrait être adopté au Conseil européen de mars.

Un autre sujet de contentieux concerne le mécanisme américain de contrôle des exportations de technologies sensibles (en premier lieu les puces). Ceci affecte d’abord, en Europe, les Pays-Bas (avec ASML) qui assure, avec le Japon et les USA l’essentiel de la production mondiale. Les Pays-Bas ont dû resserrer leur politique d’exportation, tout en refusant de vendre en Chine. Comme dans d’autres domaines, Washington joue double-jeu a permis la vente d’équipements moins avancés que ceux de ASML pour la fabrication de puces par Huawei (à hauteur de 100 Mds$).

L’agenda européen de souveraineté digitale (Digital Markets Act et Digital Services Act) a été mal d’abord reçu outre-Atlantique alors qu’il vise à protéger l’avance occidentale. Des mesures législatives comparables sont en cours d’élaboration au Congrès.

Le Conseil de commerce et de technologie (Trade and Technology Council) offre pourtant un cadre de coopération euro-américain sur les flux de données, les subventions et, plus récemment, le sujet de l’intelligence artificielle[3].

Comme dans le passé, la garantie de sécurité du grand allié américain en faveur des Européens, reconfirmé de manière spectaculaire dans le contexte de la guerre d’Ukraine, emporte une contrepartie économique, sous l’effet d’une interprétation extensive de la sécurité nationale. Ce qui accroît les malentendus. Les Européens considèrent que l’administration Biden utilise la Chine pour conduire une politique protectionniste et de contrôle des exportations européennes. Et Les Etats-Unis jugent que les directives de l’UE visent les firmes américaines. Le nationalisme économique, qui débouche sur une compétition des subventions publiques, bénéficiera d’abord à la partie américaine, qui dispose d’un budget fédéral profond.

Un problème plus sérieux, masqué par la quasi-fascination des décideurs industriels européens pour le Plan Biden, est la tentation de tirer avantage des bas prix de l’énergie aux Etats-Unis : il est de 8 à 10 $ pour le gaz Henry Hub (USA) contre 20$ pour le TTF (UE) et 25 pour le LNG (Asie). Ces différences de prix durables conduisent les entreprises allemandes du Mittelstand à envisager des délocalisations.

Les Allemands face à la crise de leur modèle

La guerre d’Ukraine a fragilisé le modèle économique allemand fondé sur l’importation de ressources énergétiques à bas prix produites en Russie (55% du gaz consommé en Allemagne en 2021, soit 27% de l’énergie primaire totale) pour faire tourner des industries fabriquant des biens d’équipement pour les économies émergentes, Chine en tête.

Le chancelier Olaf Scholz a très tôt pris acte de ce changement d’époque – nommé Zeitenwende – et de l’échec du paradigme du « Wandel durch Handel » – changement par le commerce -, le « doux commerce » de Montesquieu qui aurait pacifié les relations internationales, favorisé l’essor des classes moyennes, lesquelles devaient exiger et obtenir une transition démocratique, en Chine comme en Russie. L’interdépendance avait une vertu apaisante.

La prospérité allemande a été fondée sur les marchés émergents, pour pallier la faiblesse de la demande intérieure et du marché européen. 60% de la production industrielle était exportée, dont la moitié hors de l’Union européenne et l’excédent de la balance des paiements avait atteint 9% du produit intérieur brut de 2015.

Le modèle économique allemand a été affecté par deux séries de facteurs. D’une part, l’usage par Moscou de l’économie comme arme géopolitique (Nord Stream I et II) et les pratiques de coercition économique de la Chine (représailles contre la Suède, la Lituanie et l’Australie ; politique du « zéro Covid » au mépris des chaînes internationales d’approvisionnement). D’autre part, des problèmes structurels existaient bien avant, non traités lors des mandats d’Angela Merkel : sortie simultanée du charbon et du nucléaire, déficit d’investissements dans les infrastructures, lenteur de la transition numérique, absence de diversification des importations.

La prise de conscience brutale des dépendances, en 2022, a animé une diplomatie énergétique tous azimuts pour l’achat de gaz naturel liquéfié alternatif à la Russie : Etats-Unis, Qatar, Émirats arabes unis, Australie, Norvège, Sénégal, Mauritanie, Colombie, Irak. En mars 2022, a été décidée la construction de six terminaux de GNL, tandis que Berlin demandait à la France et à l’Espagne[4] de renforcer leur interconnexion gazière afin de relier les terminaux de la péninsule ibérique à l’Europe centrale.

L’Allemagne prévoit de bâtir une stratégie combinant énergies renouvelables et hydrogène même si à court terme ses options restent liées au gaz et aux énergies fossiles. Le nucléaire reste un tabou. Et la dépendance extérieure demeurera dans un pays qui importe 65% de ses besoins en énergie.

La demande d’énergie allemande est concentrée aux trois-quarts dans cinq secteurs (verre, papier, raffinage, métallurgie et surtout chimie soit un emploi industriel sur sept), souvent situés dans des circonscriptions sociales-démocrates (SPD, parti du chancelier). Le risque de désindustrialisation se profile : l’électricité est trois fois plus chère qu’aux Etats-Unis.

L’aide d’urgence de 200 Mds€ est destinée à protéger les entreprises et les ménages contre la flambée des prix. Berlin n’est plus opposé à une révision du « market design » proposé par l’Espagne et mentionné en termes généraux dans la déclaration commune du 22 janvier 2022 à Paris dans le cadre de la célébration du soixantième anniversaire du Traité de l’Élysée.

A moyen terme se pose la question de l’extraversion du modèle allemand. Malgré la dégradation de l’image de la Chine dans les milieux d’affaires industriels allemands – c’est la BDI[5] qui avait introduit l’idée de « rivalité systémique » reprise par la Commission européenne dans son document de stratégie de 2019 (coopération, compétition, rivalité systémique), le premier voyage lointain du chancelier Scholz a confirmé le refus de tout découplage, tout en cherchant à limiter les risques dans certains secteurs sensibles : Scholz a évoqué une diversification intelligente menée avec prudence et pragmatisme.

Selon l’institut de recherche économique IFO, un découplage coûterait entre 4 et 10 points de PIB à l’économie allemande (chimie et automobile : la Chine pèse 40% du marché de Volkswagen). Les investissements allemands en Chine se poursuivent : 10 Mds€ en 2022, ajoutés à un stock de 100 Mds€ (BASF, Siemens). Comment se priver du marché chinois de la chimie qui pèse la moitié du marché mondial ? Les firmes allemandes visent à produire en Chine pour la Chine et pour le marché mondial.

Enfin, les interactions germano-chinoises ne sont plus fondées sur une complémentarité entre productions chinoises à bas coût et biens allemands à forte valeur ajoutée mais sur une compétition dans tous les secteurs d’excellence de l’Allemagne. La Chine a déjà supplanté l’Allemagne comme deuxième exportateur d’automobiles, grâce à sa domination sur le segment des voitures électriques et autonomes. D’où un effort dans l’économie de la connaissance pour protéger les avances allemandes.

Des débats traversent la coalition[6] mais c’est la ligne Scholz qui s’impose, pour qui il faut continuer d’échanger avec la deuxième économie mondiale.

Le pays dispose d’atouts pour réinventer son modèle, sans commune mesure avec ceux de ses partenaires européens : des marges budgétaires importantes (une dette de 62% du PIB contre 116% en France), des avoirs extérieurs disponibles, des avantages structurels.

Le risque pour l’Union européenne est que l’Allemagne ne trouve pas intérêt à une coopération et recherche une voie solitaire, un « Sonderweg », sauf dans certains domaines précis[7]. Les réponses au Plan américain, au défi chinois et aux dépendances multiples ne sont pas véritablement coordonnées.

Les Occidentaux face aux incertitudes chinoises

Le 26 décembre 2022, le gouvernement chinois mettait fin à trois années d’isolement et décidait d’ouvrir le pays. Le coût de l’isolement a été élevé en termes économiques et d’image internationale. Nul doute que la contestation populaire contre le confinement lié à la politique zéro-Covid a pesé sur la décision qui résulte d’importants débats politiques internes.

Et, comme souvent dans ce type de régime, un tournant radical évite toute remise en cause du régime, dont on saluera le pragmatisme.

Le deuxième tournant était la reprise de contacts avec les Etats-Unis. Il est, à ce stade, trop tôt pour interpréter l’affaire du ballon mais il se confirme (le 9 février) qu’il était équipé d’antennes permettant de collecter des signaux. Y-a-t-il en Chine des adversaires (militaires) à la décision de renouer avec Washington. A suivre….

Les modalités et les conséquences du retour de la Chine sur la scène internationale ne font pas l’unanimité parmi les centres de recherche spécialisés. On trouvera ici une synthèse comparative réalisée le 27 janvier par l’Institut Mercator d’études chinoises, établi en 2013 et basé à Berlin. Il est, à mon sens, l’institut de référence sur la Chine.

On attend(ait) de cette réouverture une relance de l’économie mondiale. Mais comme l’indique Jean-Pierre Cabestan, professeur à l’université Baptiste de Hong Kong[8], le monde où revient la Chine n’est plus le même. Les Chinois vont retrouver un monde beaucoup plus méfiant, sinon hostile, du moins de la part des pays développés. On est engagés dans une guerre froide, géostratégique, technologique et idéologique avec la Chine. Cela va avoir des conséquences sur les relations humaines et économiques entre les partenaires européens et américains, et chinois. Pour le Sud, c’est peut-être moins vrai, ces pays ont souvent besoin de l’aide, des prêts et des projets d’infrastructure chinois pour se développer.

Deux critères sont à considérer : l’extension de la pandémie en Chine après la levée des restrictions et l’ampleur de la reprise. Le Fonds monétaire international prédit un taux de croissance de 4,4% en 2023 après 3,2% en 2022. De nouveaux projets d’investissements sont attendus de la part de firmes chimiques comme BASF (12 Mds€) et Exxon Mobil (9,2 Mds€). Mais d’autres acteurs (Corée, Japon) misent déjà sur l’Indonésie, le Vietnam et l’Inde, de plus en plus audible dans les forums internationaux.

Compte-tenu de la politique américaine de compétition technologique assumée avec la Chine, il faut s’attendre à une offensive en direction de l’Union européenne, afin d’éviter un risque de découplage généralisé. Il est néanmoins probable dans des secteurs très concurrentiels, la perte du marché chinois sera compensée par les subventions publiques.

En réalité, certains experts[9] estiment que « les dépendances de l’Union Européenne vis-à-vis de la Chine ont augmenté à la suite du conflit en Russie et des projets d’accélération des transitions verte et numérique (voir plus haut sur les batteries). Mais il semble que l’UE ait appris sa leçon et ait identifié les points sur lesquels elle dépend fortement de la Chine. Il est fort probable que, étant donné qu’il est très difficile de concentrer 100 % de toutes les chaînes de valeur dans l’UE, une partie de ces initiatives impliquera le « friendshoring » – le renforcement des chaînes de valeur qui passent par des pays amis. Mais il faut être prudent, car parfois les amis ne sont pas au rendez-vous... ».

Au total, l’économie chinoise reste prise dans des contradictions insoutenables à long terme : baisse de la démographie, faiblesse de la demande intérieure, endettement public et privé, explosion des inégalités et corruption endémique. L’interventionnisme de l’État-parti ne compense pas le fait que les autorités ne parviennent pas vraiment à inventer un nouveau modèle économique plus autonome[10]. Confrontée aux crises et dans un environnement international tendu, la Chine développe une stratégie de sécurité économique qui repose sur la dépendance accrue des autres pays vis à vis d’elle. L’Union européenne doit donc s’en protéger, même si les deux millions de touristes qui avaient visité la France en 2019 revenaient.

Quelques grands rendez-vous institutionnels en 2023

Présidence du Conseil de l’Union Européenne :

  • Janvier-juin : Suède (4 priorités : sécurité, compétitivité, transitions écologique et énergétique, démocratie et état de droit)
  • Juillet-décembre : Espagne (énergie et réforme du marché de l’électricité, migrations, Amérique latine, Europe sociale)
  • Pékin : session du Parlement, confirmant le 3ème mandat de Xi Jinping
  • Conférence de l’ONU sur l’eau : New York (22-24 mars)
  • G 7 : Hiroshima (Japon) (19-21 mai). Choix du Premier Ministre Fumio Kishida de plaider pour le désarmement nucléaire (+ la sécurité énergétique et le rôle des règles internationales)
  • OTAN : Vilnius (11-12 juillet)
  • G 20 : New Delhi (9-10 septembre)
  • Assemblée générale des Nations Unies : New York (12-30 septembre)
  • COP 28: Dubai (30/11-12/12)
  • ASEAN : Djakarta (dates à préciser)

Aléas

  • Israël : poursuite des attaques ciblées contre le programme nucléaire iranien.
  • Turquie : élections présidentielles en juin 2023. Conséquences politique du séisme ? Risque de tensions avec la Grèce.
  • Guerre d’Ukraine : reprise de combats intensifs à partir du 24 février sur le front du Donbass. A surveiller : la Crimée, cible de l’armée ukrainienne.
  • Russie : tensions internes au sommet sous l’effet des sanctions économiques et de la mise en place d’une économie de guerre. En 2022, selon le ministère russe des finances, les recettes tirées de l’exportation des hydrocarbures – la moitié des rentrées totales - ont baissé de 46%, les autres recettes fiscales de 28% tandis que les dépenses ont augmenté de 59%. Le pétrole est bradé à 60% de sa valeur à la Chine et à l’Inde ; la banque centrale a dû vendre des yuans et de l’or du Fonds de la richesse nationale.

[1] Pour la France, les principaux investissements émiratis sont dans Airbus, Veolia, Vivalto et BPIfrance.

[2] « La délocalisation vers des pays alliés est un outil important pour accélérer notre reprise économique et aider à réaliser la promesse du président d'une "politique étrangère pour la classe moyenne". Repenser notre "base" industrielle et d'emplois nationale est au cœur de l'offre de plus de possibilités aux Américains et de la reconstruction d'une classe moyenne forte et prospère. Le remaniement de nos chaînes d'approvisionnement peut également contribuer puissamment à restaurer le leadership mondial et les alliances stratégiques des États-Unis, à protéger et à renforcer la démocratie, et à contrôler le mauvais comportement de la Chine (et d'autres autoritaires), le tout d'un seul coup ».

[3] POLITIQUE ET LÉGISLATION | Publication 01 décembre 2022 TTC Joint Roadmap for Trustworthy AI and Risk Management. La feuille de route conjointe UE-États-Unis de la TTC vise à faire progresser les terminologies et taxonomies partagées, mais aussi à informer nos approches de la gestion des risques liés à l'IA et de l'IA digne de confiance des deux côtés de l'Atlantique. La feuille de route contribuera à l'élaboration (dans une prochaine étape) d'un référentiel commun de métriques pour mesurer la fiabilité de l'IA et les méthodes de gestion des risques. Elle a également le potentiel d'informer et de faire progresser les approches collaboratives dans les organismes internationaux de normalisation liés à l'intelligence artificielle. Commission européenne.

[4] L’Espagne dispose des capacités d’importation de GNL les plus importantes de l’UE (44,1 millions de tonnes métriques en 2022)

[5] Le Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI, Fédération des industries allemandes) est la principale organisation de l'industrie allemande et des prestataires de services liés à l'industrie.

[6] Voir Lettre Jacques Cœur, décembre 2021

[7] Exemple du « hydrogénoduc » H2Med Barcelone Marseille agréé lors du sommet franco-espagnol de Barcelone, la veille du sommet franco-allemand, à la suite de fortes pressions allemandes sur Pedro Sanchez.

[8] Le Monde, 10 janvier 2023. Et entretien avec l’auteur.

[9] Chine : l’UE fera-t-elle les mêmes erreurs qu’avec la Russie ? Judith Arnal, Telos, 31 janvier 2023 (Agenda Publica)

[10] François Chimits (chercheur au MERICS) et François Godement (Conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne), entretien, 7 octobre 2022